DES NOUVELLES DE BERLIN
Retour dans une de mes villes préférées, 9 ans après y avoir passé un été entier. De joyeuses retrouvailles en perspective. Mit einer extraportion veganem Sauerkraut, bitte!
Dans un magasin de vélos :
— Bonjour, est-ce que vous louez des vélos ?
— (Silence distant du technicien tatoué en short avec une coupe mullet) Nein.
— Et euuuuuh vous n’auriez pas une adresse à me donner ?
— (Long silence limite méprisant) Try Google !
Léo m’explique que cette franche amabilité a un nom : la berliner Schnauze, une attitude volontiers rustique (voire franchement désagréable quand ça leur prend). En fait, davantage que d’être bougon, c’est surtout la volonté d’être franc, direct, sans filtre. Sauf quand il s’agit de me louer un vélo, espèce de kratzelrotzgeierknallgrützenkopf !

8h du matin : café-croissant dans un petit bar. En fond sonore, de la techno glauque avec une voix à la Leonard Cohen mais en bien pire encore. Hé oui Johanne : il y a encore pire dans la vie que la voix de Leonard Cohen. J’ai demandé au serveur s’il avait les coordonnées du centre anti-suicide ou, à défaut, m’indiquer le cimetière le plus proche.
Flix (l’auteur de Spirou à Berlin) m’invite à boire une bière. Je découvre, médusé, l’existence du concept de biergarten. En gros : des bancs de fancy-fair, du gravier, une énorme chope de bière, des pretzels et des saucisses. A première vue ça n’a pas grand intérêt. A deuxième vue non plus, je vous rassure. Bon, ça vient de Bavière et ça se pratique surtout dans le sud de l’Allemagne — un biergarten de Munich peut accueillir 8 000 personnes pour écouter poliment des musiciens en culotte tyrolienne. Amusant : les Berlinois détestent les Bavarois et c’est totalement réciproque. Mais ça n’empêche personne d’aller s’envoyer 14 litres de bières au biergarten, véritable lieu de rassemblement qui n’est d’ailleurs pas si bon marché que cela. A propos, sachez que les Allemands ne sont PAS les plus gros buveurs de bière au monde : ce sont les Tchèques (128 litres par personne chaque année) suivis par les Autrichiens et les Roumains. Les Allemands sont 4e. Les Belges 26e. Les Français 44e. Santé, les gars.

Il y a des marchés bio partout. À croire que les marchés non bio sont interdits par la loi.
Hier soir de la musique d'ascenseur dans un restaurant vietnamien. Le régime pratique donc encore la torture.
Je suis impressionné par le respect qu’ont les cyclistes pour les feux rouges. Pas une roue, pas un rayon qui dépasse avant que ça ne passe au vert. Bon, j’ai vite appris pourquoi : griller un feu rouge à vélo est une infraction sanctionnée par une amende de 88,5€, qui passe à 128,5€ si la manœuvre est potentiellement dangereuse. Moyen fun, évidemment. Et le tarif pour rouler sur les trottoirs : 55 €.

Les trottoirs et leurs pistes cyclables appartiennent ici aux vélos, et ils ne se privent pas de le rappeler. Ils foncent à toute blinde, et si tu mets UN ORTEIL sur leur territoire, tu te fais houspiller. Pire : moi je suis à vélo mais du genre 1. touriste 2. Distrait. Et donc, je musarde sur les pistes cyclables, puis tout à coup je décide de traverser. Et c'est bien évidemment là que je me prends un TGV sur deux roues quasi dans la tronche, insultes comprises.
Stefan m’emmène dans une Kleingartencolonie. On estime que 5 millions d’Allemands louent une de ces petites résidences/maisons/cabanes de jardin en périphérie des villes. Ça sent bon la clôture, le gazon millimétré, la fontaine à eau et le moulin à vent en plastique. Sans oublier les odeurs de barbecue qui font qu’il vaut souvent mieux inviter le voisin pour éviter qu’il ne se plaigne. Règle d’or : on ne peut pas y loger, juste aller s’y détendre quelques heures. La déco kitsch n’est pas en option, elle est obligatoire.

Y a des bioutifoul people partout. Les jeunes sont ultra-lookés, tous beaux, jeunes, piercés, tatoués et minces. A croire que la panse à bière, l'âge et le mauvais goût ont été récemment interdits. Les jeunes filles sont fières et déterminées, elles arpentent la ville avec un regard assez dur, genre « n’essaie même pas, tu vas beaucoup souffrir et tu vas vite pleurer ta mère. »

Les Allemands ont l'air de trouver bizarre que j'aille me promener dans leurs cimetières alors que je n'avais personne de précis à enterrer aujourd'hui.
Pour aller voir la tombe de Bertold Brecht il faut vraiment le vouloir : il y a trois cimetières distincts qui s'appellent dorotheenstädtischer friedrischwerderscher Friedhof ! Quand on a enfin trouvé, on découvre un bel endroit avec des tas d'artistes et philosophes (Marcuse, Hegel) et plein de tombes sur laquelle l'inscription est en fait... la signature du bonhomme. Très graphique et élégant. Dans le même cimetière, deux veuves me montrent le columbarium. Pour chacune d'entre elles, il y a une place réservée à côté de leur mari. Je ne suis pas certain que ma réponse ("Comme ça, au moins, vous connaissez votre future adresse !") était vraiment appropriée, hum.

Un Allemand, marié à une Française, m'a expliqué que, malgré son très faible niveau de français, il arrivait à soutenir une conversation fluide avec sa belle-mère. Son secret : juste lâcher de temps en temps des interjections comme "incroyable" ou "La vache !" Et prier pour que son interlocutrice soit en verve.
J’ai eu l’occasion de visiter l’aéroport de Tempelhof. Construit par le régime nazi, récupéré ensuite par les Américains, il a été au cœur du fameux pont aérien en 1948. A l’arrêt depuis 2008, ses 300 000 m2 en font un mastodonte urbain. Il faudrait 44 000 clés pour ouvrir toutes ses portes. Et plein de légendes urbaines circulent : l’or des nazis s’y trouve bien entendu planqué quelque part ; de l’aéroport part un souterrain jusqu’à Nuremberg (500 km quand même) pour pouvoir se carapater en douce ; une immense antenne souterraine aurait été installée par les Américains pour pouvoir contrôler le cerveau des Berlinois…
Berlin a un truc avec les aéroports vides. Il y a actuellement CINQ aéroports vides en ville ou aux alentours : Tempelhof, Tegel, Schönefeld, Gatow et Johannistal. Et même le seul qui fonctionne (Brandeburg) est un peu maudit : tout le système de ventilation a été conçu par un ingénieur qui n’avait pas de diplôme ; les détecteurs de fumée étaient posés au sol, pas au plafond ; juste avant la date d'ouverture, les inspecteurs ont signalé quelque 120 000 défauts, y compris des problèmes de sécurité incendie, des portes automatiques qui ne s'ouvraient pas et des toits affaissés ; environ 170 000 kilomètres de câbles ont été mal installés dans et autour de l'aéroport. Etc, etc. Au final, il a ouvert avec 10 ans de retard, émaillés de scandales divers et variés…
Dans la rue, près des poubelles, plein de bouteilles vides. J’ai lu deux théories à ce sujet mais toutes les deux indiquent une bienveillance envers les gens qui vivent dans la rue. La première, c’est pour qu’ils évitent de se blesser s’ils fouillent les poubelles. La seconde, c’est pour qu’ils puissent récupérer la consigne. Grâce à un système bien établi et appliqué uniformément dans toute l’Allemagne, le taux de retour des bouteilles réutilisables et à usage unique s’élèverait aujourd’hui autour de 90% (source : Centre Européen de la consommation).
Comme je l’ai dit, j’ai passé tout l’été 2016 ici. J’habitais à Neukölln, quartier à forte population turque. Dans la liste des serveurs wifi disponibles autour de la maison il y en avait deux qui s'appellaient FENERBAHCE !

Pour un amateur d’archi, Berlin c’est un peu BUILDING GALORE hein. Entre les restes des vieux bâtiments qui datent d’avant les guerres, la déferlante art déco (avec des bâtiments totalement invraisemblables de beauté), le Hansa Viertel où 57 stars de l’archi ont aidé à reconstruire Berlin pour y loger les gens, en passant par les rigoristes du Bauhaus, la Shell Haus et les milliards de bâtiments contemporains, je passe mes journées le nez en l’air, à admirer et photographier des façades.
Je terminerai ce court séjour en recopiant ce que j’ai écrit il y a neuf ans. J’ai envie de résumer Berlin en un mot : BIENVENUE. C'est ce qui m'est renvoyé à la fois par les locaux et par les visiteurs : tout le monde y est accueilli, peu importe la couleur de peau, la grosseur du portefeuille, le degré d'excentricité, les goûts sexuels ou le nom du dieu adoré. J’ai juste envie d’encore revenir. Vite. Souvent. Longtemps. L’été à Berlin c’est le plus beau de mes étés.