DES NOUVELLES DE HANOÏ #2
Ici, le show télé « Qui veut gagner des millions » n’a eu aucun impact, puisque tout le monde est millionnaire en dong (1 million = 34 euros le jour où j’écris ceci).
Les maisons-tube ou maisons-container sont très répandues ici. Leur origine est amusante : les taxes foncières étant calculées sur la largeur de la façade, les propriétaires la construisaient la plus étroite possible — généralement entre 3 et 4 m — mais se rattrapaient sur la profondeur, avec des pièces sans jour, comme la pièce du milieu dans nos « trois pièces en enfilades bruxelloises » et sur des hauteurs souvent vertigineuses. Autre raison pour ne pas s’étendre : dans les grandes villes, le terrain à bâtir est rare et cher.

Je sors de chez le glacier sans payer. Une dame me rattrape dans la rue : « Vous n’avez pas encore payé ! » Je ne sais plus où me mettre. Je rentre pour régler mes quelques euros, en essayant de voir si, dans le regard de cette dame, il y a une nuance de « Ouais ouis, c’est ça, bien essayé, mon gars ! ». Mais non.
Il n’y a qu’à moi que ça arrive : je passe la journée à la piscine du Army Hotel, établissement 4 étoiles à destination de l’armée et géré par le ministère vietnamien de la Défense. Je passerai la journée seul au bord de l’eau. Et j’aurai même droit au clairon qui annonce je ne sais quoi. J’ai failli me lever au garde-à-vous mais j’étais quand même en maillot.
Au musée des Beaux-Arts, c’est étonnant de parcourir des salles entières consacrées à des techniques picturales classiques comme la laque, la peinture sur soie ou la gravure. Sauf que tous les sujets sont liés à la guerre, qui a empesté des générations de Vietnamiens. Pour rappel, après s’être mangé 1000 ans de domination chinoise, les Vietnamiens se sont pris coup sur coup les Français, les Japonais et les Américains sur la tronche. Mais ce n’est pas tout. A peine réglée l’unification du pays, ce sont les Khmers rouges qui ont débarqué, puis re-les Chinois. Ça va aller, oui ?

Quand l’hôtel Hilton est venu s’installer à Hanoï, ils ont insisté pour qu’on ne l’appelle pas le “Hanoï Hilton”, puisque c’était le nom que les pilotes américains capturés par l’armée vietnamienne donnaient à la prison locale où ils ont passé le plus clair de leur temps pendant la guerre. La prison a également été appelée “L’hôtel des cœurs brisés” par les mêmes captifs US.
Dans un resto, je suis servi par un Nigérian. Son anglais est épouvantable.
— Moi : Et vous faites quoi ici ?
— Lui : Oh, je suis prof d’anglais.
Je n’ai pas une grande culture hippie-baba et donc ne savais pas que la chanson Where are you now my son ? avait été enregistrée dans un bunker à Hanoi à Noël 1972 sous les bombes US. Le morceau est chiantissime, fait 21 minutes et est truffé de bruits de bombes, de pleurs d’enfants, de hurlements divers… Une vraie chanson de Noël comme on les aime.

Parfois, l’attraction n’est pas là où on croit. J’attends mon repas en terrasse et deux jeunes filles m’observent. Avant de manger, je me nettoie les mains avec du gel hydroalcoolique. Et elles éclatent de rire en se foutant de ma gueule. Comment on dit « mon pauvre chéri » en vietnamien ?

A Hanoï, il n’y a pas de quartier chinois comme dans les autres villes. La raison ? Le bref conflit frontalier sino-vietnamien de 1979 dans le Nord. Et donc ici, «les mots « chinois » et « discret » sont de synonymes. “Exact, reprend Yvain, mon fixeur. Par contre, il y a beaucoup de business avec les Chinois. Et selon les statistiques c’est le pays qui envoie le plus de touristes ici.”
Une blague vietnamienne : en 1986-87 l’inflation était tellement forte ici (plus de 700 %) que si tu investissais un bœuf dans l’économie locale, l’année d’après tu te retrouvais avec un poulet.

C’est amusant le nombre de mots vietnamiens qui viennent du français (ça marche mieux en les prononçant tout haut) : Áp phích, Vô lăng, Phim, Ê kíp, Bê tông, Bích quy, Ga tô, Giăm bông, Mù tạt, Ghi đông, Gác đờ bu… Pour les cas désespérés, Boris a les réponses en fin de mail.
Et à propos de vocabulaire… “Dans un guide de voyage sur l’Indochine de 1923, on tombe sur un petit lexique, manuel de conversation à l’usage de vacanciers, dont voici en français les premiers rudiments : « va chercher un pousse, va vite, va doucement, tourne à droit, tourne à gauche, retourne en arrière, relève la capote, attends-moi là un moment, conduis-moi à la banque, chez le bijoutier, au café, à la concession. » C’était là le vocabulaire de base du touriste français en Indochine.”
Eric Vuillard, Une Sortie honorable, Babel.
Partout à Hanoi, on trouve des vieux bâtiments datant de l’occupation française, peints en jaune. L’explication est intéressante. Le jaune est ici la couleur royale. Quand les Français sont arrivés au 19e siècle, ils ont tout peint en jaune pour minorer l’importance du roi. On appellerait ça la chromopolitique du coup ?
J’avais déjà vu ça à Tokyo : les magasins de photo. On paie un petit forfait pour accéder au studio, tout équipé (décor, éclairage…). On se saisit d’un chapeau, on enfile un costume, on se grime et c’est parti pour des tas de clichés rigolos entre amis.

Mon propriétaire vit chez ses parents avec sa femme. S’il vivait chez les parents de son épouse, il serait, je le cite, « considéré comme un loser ». #YaEncoreDuBoulotHein
Ma sœur me demande de trouver un « rideau pour les mouches ». J’ai aucune idée de comment ça s’appelle en vrai et je me dis que je ne trouverai jamais ça. En fait, miracle : une rue entière est consacrée à ces horreurs. Rue qu’on appellera poliment la rue des breloques.

Je reparle des dégâts de l’agent orange, le défoliant utilisé par les USA pour détruire la jungle pendant la guerre et débusquer les combattants vietnamiens. Même après quatre générations, les autorités demandent aux jeunes mariés de faire checker leurs gènes pour éviter que la cinquième génération ne soit affectée. Cela étant, soyons de bon compte : les Britanniques et les Australiens ont utilisé cette saloperie avant les USA pour mater une rébellion communiste en Malaisie britannique.
Après la guerre, les trois noms préférés des Vietnamiens pour baptiser leur chien étaient Nik (pour Nixon), John (pour Johnson) et Ki (pour Kissinger). Ouaf.
Tiens, maintenant que j’y pense, je ne suis pas encore allé manger du chien, alors que c’était un des objectifs de ce voyage — c’est une spécificité de cette région. Je vous promets d’y aller et la semaine prochaine vous saurez tout.
Et c’est là, commissaire, que les vagues de désabonnement ont débuté…
Et les solutions au quiz de vocabulaire inspiré du français? 😉 On nous avait dit que Banh mi (sandwich) venait de "pain de mie", mais j'ignore si c'est vrai...