DES NOUVELLES DE LA HAVANE 3 florilegio
Comme le dit une Autrichienne croisée dans un resto : « Sometimes, what you see in Cuba is tourists taking pictures of tourists taking pictures ! »
Il y a des milliers de splendides maisons ici à La Havane : art déco tropicaliste (comme on en trouve à Miami Beach), coloniales, baroques... Un rêve pour les gars comme moi qui passent leur temps à photographier les façades. Mais tout ça est généralement dans un état de délabrement avancé, à faire s’évanouir de terreur un étudiant en archi. Des tas de maisons ont l’air abandonné. Sauf que, partout, il y a de la vie. Tous ces immeubles, qui sont apparemment fermés et vides, fourmillent en fait de monde. Appelons ça « occupation précaire à long terme » ou squats.
Les Cubains utilisent des expressions comme espanglish ou cubañol pour décrire le sabir dans lequel ils s’expriment avec les touristes.
- Donc, la Belgique c’est proche de l’Uruguay, c’est ça ?
- Euh...
(et maintenant un interlude)
J’ai été interpellé par deux lecteurs suite à mes premiers envois : « C’est marrant tes petits textes, sauf que ça ne donne pas du tout envie d’aller à Cuba, car à peu près tout ce que tu racontes est négatif. » J’ai donc pas mal interrogé mon moi-même pour rééquilibrer les choses. Voici donc la liste de mes enthousiasmes, plus difficiles parfois à traduire en blagounettes de trois lignes...
De la musique partout
Ma petite maîtrise de l’espagnol qui fait que j’ai pu converser longuement avec plein de locaux et comprendre comment ils vivent au quotidien
La dignité des Cubains qui, même s’ils n’ont pas grand-chose, ne te le font pas sentir
Les gens adorables et accueillants
Les yeux des Cubaines
Une nature luxuriante et généreuse
L’architecture : un paradis art déco, malheureusement très mal entretenu
Les couleurs (ils adorent les trucs flashy)
Il y a suffisamment de culture et d’histoire pour APPRENDRE mais aussi des super plages pour PROFITER (j’ai déjà nagé dans l’Atlantique ET dans la mer caraïbe)
Mon plaisir principal, qui me prend la moitié du temps : marcher pendant des heures dans les villes, à la recherche d’une chouette photo, d’une jolie façade, d’une odeur ou d’un sourire...
(c’est la fin de l’interlude)
Je viens de passer un moment rigolo avec Luis, un sympathique bandit qui avait juré de ne pas me lâcher avant de m’avoir extorqué un peu de monnaie locale. Tout était bon :
Je te ramène à ta casa gratuitement et en échange tu me files une de tes chemises. Ok, tu n’as que trois chemises pour le voyage, mais deux ça suffit pour voyager non ? Ou alors tu me donnes des bonbons. Ou même ton horrible chapeau (tu en achèteras un bien plus joli quand tu rentreras en Europe, je t’assure)
Si tu ne le fais pas pour moi, fais-le au moins pour eux (dit-il en me montrant la photo de ses enfants faisant semblant de pleurer)
Mais si tu ne vas pas manger dans ce restaurant, comment je vais recevoir ma commission, moi ?
Je l’ai récompensé pour son stand-up tout à fait délicieux et décalé et je me suis fait un copain.
La poésie des vieilles américaines. Je suis dans une Chevrolet de 1951. Dont le pare-brise est fixé avec du scotch. Dont le moteur est russe, la clim espagnole (installée au plafond dans l’habitacle et d’où pleuvinent des trucs pas trop ragoûtants) et l’embrayage chinois. La poignée pour ouvrir la porte tient avec un clou rouillé - note to self : j’espère que je suis en ordre de tétanos, je me suis déjà griffé trois fois. La vitre passager (qui ne s’ouvre pas) est rafistolée avec de la mousse d’isolation. La direction est d’origine et donc dans un état approximatif (disons que ça flottouille pas mal). Et nous sommes entassés à huit dans ce cercueil à roulettes. Dans un joyeux mélange de touristes et de locaux.
Un phénomène assez fréquent ici : il fait plein soleil mais il pleut quand même. Les Cubains appellent ça la hija del diablo (la fille du diable) !
Señora, por favor, combien pour ce morceau de cake ?
Un peso nacional (Un 25e d’euro, donc)
...
Je me suis pris une veste avec quelques jeunes Françaises avec qui j’essayais d’aborder la précarité dans laquelle vivent les Cubains. Petit moment de flottement, et puis elles reprennent : “Euuuuh… (grand blanc) Et sinon, tu as essayé les cours de salsa ? C’est vraiment trop trop bien !”
L’usage du mouchoir selon mon chauffeur de collectivo :
1 se moucher
2 admirer sa production (bon, jusque-là, comme tout le monde, non ?)
3 étaler le mouchoir sur le tableau de bord
4 utiliser le mouchoir pour frotter le pare-brise
5 recommencer
Faire du 100 à l’heure sur une route de province sans ceinture, on n’a plus vraiment l’habitude... et donc je passe mon temps à essayer de trouver la boucle dès que je rentre dans un taxi. Et puis je fais des petits prouts, peureux, inodores et silencieux, pendant tout le trajet. Ouuuuuh, on n’est pas passés loin de ce groupe d’écoliers, pas vrai, huhu ? Prouuuut, Transpire, Goutte, Goutte, Prouuuut.
Quand tu t’es baigné dans le lac pendant la visite du parque natural et que, les pieds encore pleins de boue, tu remets ton caleçon en en mettant partout (de la boue), tu sais que JAMAIS tu n’oseras donner ce caleçon à laver dans ton prochain logement chez l’habitant.
Le mot nacionàl est mis à toutes les sauces à Cuba. Quand ce n’est pas l’arbre nacionàl (le palmier), c’est l’oiseau (le tucoro), la fleur (mariposa), la bière (Cristal ou Bucanero)...
Cadeau d’adieu à Enrique, qui m’a aidé à résoudre un épineux problème de visa : un ventilateur pour sa famille. Au magasin d’électroménager, le vendeur ouvre chaque boîte qu’il vend, retire avec précaution chaque élément de son plastique de protection, assemble le ventilo, vérifie tous les branchements, chaque réglage, démonte le truc et remet chaque élément dans son sachet en plastique, rescelle la boîte. Avant de commencer à rédiger, à la main, la garantie pièces et main d’œuvre de trois mois sur le précieux objet.
Une heure au soleil avec un prêcheur baptiste canadien. En vain. Chacun est resté sur ses positions. Chaque fois que je lui parlais de valeurs, il me répondait par une citation des Saintes Écritures. « Et soudain, d’entre les mânes célestes, lui apparut la Vérité : lui en coller une vite fait » (John the Baptist, 17-3).
Un jour, l’inventeur de l’espagnol s’est levé du pied gauche et a décidé que “les légumes » se traduirait ici à Cuba par « las viandas ». Prends ça dans ta gueule, Google Translate !
Les Cubains a-do-rent les babioles : danseuses en plâtre, grenouilles ou chiens en faïence, faux fruits en plastique, brouettes en bois avec un chat en peluche dedans, statue grecque avec un thermomètre, bonsaï en plastique bleu... c’est un festival du kitsch. Il y en a partout. Et la première chose que je dois faire en arrivant dans une chambre est de fourrer toutes ces saloperies dans un coin pour avoir de la place pour étaler mes propres affaires. Même des gens très éduqués ont leur intérieur qui déborde de merdouilles flashy-ploucs. Comme si le mot « épure » n’existait pas dans le vocabulaire local.
L’interjection mi amor est utilisée à toutes les sauces ici :
bien entendu dans la bouche des Cubaines qui me trouvent toutes sublime, avec mon short d’aventurier, mes jambes couleur lavabo et mes sandales de Jésus ;
Chaque vendeuse s’adressant à chaque client (pas besoin pour autant de le connaître) ;
Lorsqu’on appelle quelqu’un au téléphone qu’on connaît vaguement ;
J’ai même entendu deux personnes s’engueuler très agressivement avec des mi amor dans chaque phrase ;
Par contre, je n’ai pas entendu cette expression chez les hommes.
En route pour Santiago, on est à peine partis qu’on se fait arrêter par la police. Papiers, suivez-nous au poste (je précise : ils en ont après le chauffeur, moi c’est comme si je n’existais pas). J’ai du mal à comprendre que cette Jeep déglinguée (a.k.a. ce gros tas de boue) puisse ne pas être en ordre de papiers, bon sang, tout avait l’air tellement réglo ! De la vraie horlogerie suisse...
Le physio du jour :
—Eres italiano ?
—...???...
A Cienfuegos, des Cubains qui écoutent du rap allemand, au coucher du soleil, sur une jetée... cherchez l’erreur. En plus, j’ai l’impression qu’ils me regardent avec un air genre « toi aussi ? » que je n’arrive pas à interpréter précisément (je me demande s’ils savent que je déteste les saucisses de Francfort).
La fois prochaine, nous clôturerons ce voyage (qui, je le rappelle, date de 2017) en allant faire un tour à Santiago de Cuba, la deuxième ville du pays. D’ici là, viva la revolucion mais pas trop quand même hein, je compte sur vous.