DES NOUVELLES DE NAPLES #2
Suite et fin de ce petit récit de voyage écrit en duo avec Vincent Engel. Nous nous lancerons prochainement dans une œuvre commune intitulée Dans les palais de l’été létaux. Aucun de nous deux n’a encore la moindre idée de ce dont ça va parler, mais on aime bien le titre.
Marcel, notre prof, nous explique le “canon grec” : pour être parfaitement harmonieux, un corps doit avoir la hauteur de 7 têtes. Dès lors, Marcel tient sans doute davantage de l’obus que du canon, non ?
Le club du bon mot : “Cette expo m’a fait un peu suaire”, “Ça ne m’a pas laissé de marbre”, “Quelques feintes bien ciselées...” On vous préviendra pour les dates des prochaines croisières de l’Almanach Vermot.
Des copains ensemble, ça pratique l’humour régressif tous azimuts (comme on vient de le déplorer ci-dessus 🤦🏻), y compris sur les absents (comme expliqué dans la première partie, il y a parfois des dissidents pour les visites). Pendant la visite du musée archéologique, on a tellement cassé du sucre sur X (absent, bien entendu) qu’on a pu certifier nos vannes «dangereuses pour les diabétiques». Moi, je craque à la 120e évocation de la Renaissance et je vais me perdre dans les petites rues pour observer la vie quotidienne des Napolitains. À quoi Janus me répond : « C’est la preuve que tu n’écoutais vraiment pas : à aucun moment la guide n’a parlé de la Renaissance. »
— Comme un enfant, j’ai une capacité de concentration de 2´30. Le zapping de musées reste à inventer.
— En fait, ce serait juste l’évolution de ce que tu fais quand tu veux rencontrer une nouvelle copine dans une soirée : tu repères celle qui te plaît et tu te concentres.
Comment dit-on en italien « Bonjour. Je suis super fatigué. Je voudrais faire une sieste. Pouvez-vous me louer une chambre pour une heure ? » Je ne sais toujours pas, vu qu’il m’a fallu essayer dans quinze hôtels pour en trouver une. Et ils me l’ont peut-être refilée uniquement parce que j’avais l’air sur le point de m’effondrer. Mon royaume pour un oreiller… un seul, sivouplé.
Naples n’est pas une ville très verte, il y a peu ou pas de parcs publics. On en a vu un splendide au Museo Capodimonte : des hectares de pure splendeur mais il est interdit d’aller sur les pelouses. Il y a une raison : si on leur permettait d’aller sur les pelouses, les Napolitains en feraient de dépotoirs. C’est un Napolitain qui le dit, hein.
Don Felice, notre chauffeur, m’a donné un cours de grossièretés en napolitain. Mais il exigeait que, pour chaque gros mot, je fasse pareil en français.
Bambacione : un gros crétin non sevré, qui a encore le sein de sa maman dans la bouche. Il fratello del cazzo : lee frère du zizi (une tête de bite, autrement dit). La Pucchiacca : l’organe génital féminin. A puttan e mammt : la traduction locale de puta madre (c’est du néerlandais je crois). Et le pompon, que je vous traduis directement en français car après 13 tentatives de lui faire épeler, j’ai renoncé : Tu n’es même pas la mousse de l’entrejambe des chevaux de l’entreprise de pompes funèbres Bello Mundo sur la montée de Capodimonte !
Gennaro donne un conseil à un Croate qui veut aller à Pompéi : “paie ton taxi sur le retour, pas à l’aller. Chi pav prîm ven mal servut : qui paie avant reçoit un mauvais service !
Comme le dit Felice, notre chauffeur : le problème de Naples, ce sont les Napolitains. Le mot qui définit la ville c’est « arrangiarsi », s’arranger. Dans tous les sens du terme. Exemple pratique : plutôt que d’appeler un taxi, le patron de l’hôtel préfère appeler son cousin. Win-win comme on dit en italien.
Nous sommes à la moitié du périple et déjà 50% du groupe tire la langue (moi le premier, j’ai marché 14 km aujourd’hui et j’ai une cloche par pied). C’est vraiment obligé de partir à HUIT HEURES QUART demain matin ? C’était pas des vacances en fait ? Les seuls qui battent le pavé bille en tête c’est évidemment nos profs, Guy et Marcel. « Les gars, pas de temps à perdre : il reste douze sites archéologiques passionnants à voir ici à Naples. Et d’ailleurs on a déjà acheté les billets pour éviter de faire la queue. »
Dans le métro (ou le train, difficile de faire la différence entre un wagon pourri et une rame nase), un type massacre au violon le thème du Parrain de Nino Rota. On passe à côté de HLM riants qui évoquent furieusement la série « Gomorra ». On se dit qu’en jouant aussi mal, le gars entend protester contre l’omniprésence de la Camorra dans le système de transports napolitains.
Je commence à partager des images de ce périple surréaliste. Commentaire de mon amie C. : « Dis, y a des mecs pas mal dans ton groupe. Ils ont tous des gonzesses ? »
Un soir, j’ai dû ingérer sept plats au restaurant. En vitesse. Quel cauchemar. J’avais l’impression d’assister à mon propre mariage et qu’on tentait de m’achever avant même la consommation de l’hymen.
J’essaie d’écrire une nouvelle dont le sujet n’a rien à voir avec le voyage. Je m’installe sur la terrasse. Gennaro vient me poser quelques questions sur mes méthodes d’écriture : stylo, carnet… Puis, je prends la plume et tente de commencer à rédiger. Il se lève, repars. J’écris deux lignes. Il revient et s’assied à côté de moi pour poser de nouvelles questions. Malgré le stylo bien visible et son agitation régulière sur la page blanche qui se remplit petit à petit de sigles indéchiffrables, à l’évidence il croit que j’écris mentalement, en tâche de fond, avec connexion directe à mon ordinateur. Je sens que je ne vais pas beaucoup écrire pendant le week-end.
Une dernière escapade à Capri. On a découvert des voitures qui n’existent nulle part ailleurs (sans doute produites dans l’île). Même les bus ont été conçus sur mesure : les rues sont assez larges pour deux bus + quelques feuilles de papier à cigarette, c’est tout. D’après ce qu’on apprend, seuls les Caprisiens (ou les Capricieux ?) ont le droit de conduire dans l’île. Impossible de louer même une Vespa. Ça doit être génétique.
C’est très joli, Capri, et pas près de finir. À Naples, tout est crado et prolo ; ici tout est beau et bobo. Et à ce propos, minute instructive : à Naples, on utilisait l’urine pour nettoyer et préparer les tissus. Les gens apportaient leur production matinale, et puis il y a eu un empereur malin (je crois que c’est Vespasien, qui s’est spécialisé dans les lieux d’aisance en y voyant une source de revenu inépuisable, puisque justement les gens doivent y revenir plusieurs fois par jour) qui a taxé l’urine. D’où la fameuse phrase : « L’argent n’a pas d’odeur ». À Capri, ce n’est pas tout à fait juste : il a une odeur de Chanel n°5.
Deuxième minute instructive : d’où vient le mot « parfum » (« profumo » en italien) ? Toujours de cette même histoire de pisse nettoyante. On faisait sécher le tissu ainsi nettoyé sur une structure en métal sous laquelle on faisait brûler des essences délicieuses (et on ne disait pas encore parfumées, hein, faut suivre) pour couvrir l’odeur d’urine. « Par la fumée », « profumo », d’où parfum. Voilà, on vous y a mis, au parfum.
Capri, c’est comme le Zoute, sans Knokke. Richard, sur la place M’as-Tu-Vu locale : «À part nous, est-ce qu’il y a d’autres personnages importants sur cette place ?»
Conclusion : comme on s’est tous sentis jeunes et beaux, on a décidé de repartir ensemble dans deux ans ! Allez, ciao tutti !