DES NOUVELLES DE PANAMA CITY
Cette fois, notre sombre héros est au Panama. Mais ouiii, vous savez bien : les espions, Noriega, le canal, les Papers, la CIA, les chapeaux, les deux océans à seulement 30 minutes l’un de l’autre...
Tout a commencé autour d’un steak à Bruxelles. L’hiver dernier, Didier, mon ancien boss, m’expliquait qu’il serait vers la mi-mars du côté du Canal de Panama sur un voilier. L’alcool aidant, une proposition indécente a vu le jour : « Et si on le traversait ensemble, ce canal ? » Le genre d’invite qui ne me sera pas faite deux fois dans ma vie. Mon verre à peine vide, j’avais acheté mon billet et hop. Bien évidemment, ce ne sera pas aussi simple, mais je vous le raconterai plus bas...
A l’aéroport de Panama, il y a une file pour les locaux, une autre pour les étrangers... et une troisième pour les marins !
« Quel Panama » : expression répandue en France au début du XXe siècle pour désigner une incroyable gabegie.
Cité par John Le Carré dans son roman Le Tailleur de Panama, lequel m’est d’ailleurs — désolé — très rapidement tombé des mains (c’est bien la preuve).
Dans l’ascenseur de ma tour (28 étages), je rencontre Bryan. Dans la main, il a un petit sac en plastique avec deux malheureuses cigarettes. Il m’explique qu’il fait du home delivery : au lieu d’une pizza ou d’une stripteaseuse, son client lui a commandé... deux malheureuses cigarettes !
J’attends un bus qui n’arrive pas. Toutes les 15 secondes, un taxi s’arrête et le conducteur fait le chiffre un avec son doigt. Traduction : pour un dollar, je t’emmène au métro, comme ça tu avances et moi je gagne un peu. Et hop, à cinq ou six dans chaque taxi !
On visite El Churrillo, un quartier qui craint quelque peu (quelques rues nous seront carrément interdites par la maréchaussée, particulièrement bien armée pour l’occasion). Comme le dira d’ailleurs Didier, avant qu’on ne se brouille pour une sombre histoire de canal à traverser : « Ici, il vaut mieux être ceinture noire de judo que de ping pong, hein »...
On visite avec une association qui « souhaite valoriser les bons côtés d’un quartier très défavorisé ». D’habitude c’est plutôt réussi et inspirant, ces balades mettent l’accent sur la vitalité de l’économie et de la culture locale (Medellin, Mumbai, Buenos Aires, Rio de Janeiro...). Sauf qu’ici, l’essentiel des commentaires consistera à montrer le contraste entre les maisons en ruine et la gentrification naissante. Merci, on avait vu. Et à ce propos, une visite au commissariat nous apprendra que le quartier est partagé entre 23 gangs différents.
De passage dans un centre commercial, je me fais alpaguer par quelques jeunes qui me font des compliments sur l’élasticité de ma peau de vieux. Roooh mais ouiiiiii, vous avez raison, je mets une crème hydratante depuis toujours. N’empêche qu’ils me proposent de m’enlever dix ans avec leur crème miracle à base de je ne sais trop quoi. Allez, j’ai le temps, vamos por la crema de juventud !
Par contre, le prix, lui il court carrément : 400 dollars le flacon, réduit à 295 parce que j’ai une bonne tête. Tout ça pour se mettre du mastic sur la figure, ça va aller oui ?
Chaque fois que je suis à perpète, je me rends compte que la bière locale est brassée par... AB-Inbev, le consortium belgo-brésilien qui saoûle toute la planète. Eh bien pas dans ce cas-ci, tiens : c’est Heineken. #HeinOuiQueÇaNousFaitUneBelleJambe
Ici, j’ai fait la connaissance de Herman The German. Une histoire incroyable : cette grue a été fabriquée par le 3e Reich pour appuyer la Kriegsmarine. En 1945, il restait quatre monstres du genre, et chacun des alliés s’est alloué un de ces trophées de guerre. Celui-ci a été ramené ici par les Américains qui, comme vous le savez évidemment, ont administré le Canal et ses environs jusqu’en 1999.
Après s’être quelque peu épivardés lors d’un festival musical un peu planplan, on rentre royalement à 22h30 et Didier s’exclame : « Eh bien on ne l’a pas volée, notre carte seniors ! »
A propos de canal, voici donc pourquoi Didier, mon ex-ami, ne m’emmènera pas sur son bateau pour le traverser. Quel que soit votre rafiot (une coquille de noix comme la sienne ou un modèle Postpanamax de 13 000 containers), pas question de le piloter soi-même. Il faut engager des “conseillers” locaux. Et donc, pas de place pour les non-pilotes comme moi (je n’ai en effet PAS terminé la marine marchande, contrairement aux bruits qui circulent sur mon compte). Comme un vulgaire retraité à chemise à fleurs, j’emprunterai par conséquent le canal sur un bête bateau de croisière. En tout cas, Didier, merci, trop sympa !
Elsa m’écrit : « Tu te plais, on dirait ? » Sauf que moi, je lis : « Tu te plains, on dirait ? »
J’ai déjà beaucoup écrit que l’Amérique latine n’était pas le paradis des fins palais. Un seul exemple, tiens : impossible de trouver un fromage convenable dans cette ville. Du coup, je maudis toutes les fois où, chez nous, j’ai refusé d’acheter « un bête morceau de gouda ». Je donnerais un testicule, moi ici, pour un « bête morceau de gouda ».
En route pour deux jours à ISLA DIABLO, dans l’archipel des San Blas. Ces quelque 370 îles sont toutes gérées par la communauté Guna (ou Kuna). Cette ethnie « native » détient le droit exclusif d’exploiter touristiquement ces lopins de terre en pleine mer des Caraïbes (parfois, un seul palmier et hop, c’est une île, hein).
Chaque famille Guna gère donc un bout d’île. C’est extrêmement basique mais charmantissime. Cela dit, il suffirait que le gamin d’une de ces familles sorte d’une école de commerce pour se dire « hé mais, en fait, on pourrait lancer un vrai business et…” Vous connaissez la triste suite de cette phrase. Et là, c’en serait fini de ce fruste exotisme, évidemment.
Emilio, au dîner, nous fait un caca nerveux car il y a de la coriandre dans le poisson, et qu’il déteste ça. Il trépigne, il frappe du poing, il hurle, à la consternation générale. Précision : Emilio n’a pas quatre ans mais la bonne soixantaine. Emilio râle aussi « parce qu’on a payé pour un hôtel et qu’on est dans une étable ». Ce en quoi il n’a pas toooooouuuut à fait tort, sauf qu’on paie justement pour cela. Calme-toi, Emilio, calme-toi.
Sur la route, juste devant nous, un toucan traverse à toute blinde. Ou alors c’était un bête merle avec un long morceau de fromage jaune en bouche. Mais je ne crois pas.
Passer deux semaines dans un pays sans voir la couleur de sa monnaie officielle : check. #LeRoiDollar
Ok, c’est le moment du grand final : le canal, le canal, le canal !!!
Si vous avez tenu jusqu’ici, vous savez que je n’étais donc pas le bienvenu sur le voilier de ce salaud de Didier (celui de son frère, pour être exact). Et donc, comme ils traversaient le canal DE L’ATLANTIQUE VERS LE PACIFIQUE samedi dernier, j’avais prévu de faire le même chemin DU PACIFIQUE VERS L’ATLANTIQUE à bord de mon bête bateau de touristes.
Au fil des heures, nous nous géolocalisions la tronche et voyions nos avatars respectifs bouger (trèèèèès lentement). J’ai toujours été fasciné par ce canal, moi qui ai habité le long de son petit frère pendant des années. Sauf qu’il n’a pas grand-chose à voir avec notre image d’un bête canal : ici, les 77 km passent par un énorme lac, par exemple. Regardez ce petit timelapse qui vous fait passer d’un océan à l’autre tout en expliquant le principe des écluses.
Allez, quelques fun facts quand même :
— Si on mettait toutes les terres de remblai du canal sur un train de marchandises, celui-ci ferait quatre fois le tour du monde
— Après que les Français ont échoué à le construire (et enterré 20 000 morts, essentiellement dûs à la malaria et à la fièvre jaune, les Américains ont carrément éradiqué les moustiques de l’île. Dites, il ne vous en reste pas un peu pour cette nuit, dans ma chambre ?
— 6% du commerce mondial transitent par le canal. Y compris cette merdouille à trois euros commandée sur Shein que tu recevras la semaine prochaine. Mais ouiiiiiii, je te parle à toi, Kimberley !
— Le canal a failli se faire au Nicaragua ou en Colombie.
— On paie le passage au poids. Les plus gros cargos paient des centaines de milliers d’euros pour un seul passage. Mais en 1928, Richard Halliburton, 75 kilos, a payé 38 cents pour traverser le canal à la nage.
Et sinon, vous vous souvenez de mon objectif, pas vrai ? Croiser le bateau de Didier. Eh bien, croyez-le ou non : quelques minutes seulement avant de redescendre à terre, ce fut chose faite. Je n’ai jamais été aussi heureux de voir un bête bateau bleu…
Conclusion. Panama City ne restera pas dans mon top 5 personnel des villes séduisantes. A part le coquet centre historique (qui ressemble, peu ou prou, à tous les centres historiques que vous pouvez imaginer) et le puissant narratif autour du canal, j’ai trouvé la ville trop éparpillée et uniquement conçue pour les voitures. Pas très chouette de s’y balader car il y a peu de quartiers qui méritent qu’on s’y perde (une de mes spécialités). Et donc c’était sympa mais pas inoubliable.
On se retrouve bientôt pour d’autres aventures. Ce sera en Colombie.
Sans coriandre.
C’est promis, Emilio.