DES NOUVELLES DE SALVADOR DE BAHIA 1
Sur la praia Porto da Barra, tout le monde applaudit au moment précis du coucher de soleil. On essaie la même chose cet été chez nous ?
Celle-là date encore de Recife mais je voulais quand même la raconter. Dom Helder Camara était un religieux d’Amérique du Sud qui a beaucoup œuvré pour la lutte contre la précarité. Une sorte de Père Teresa latino… Surnommé “l’évêque des pauvres”, il a été une figure importante de la théologie de la libération et un ardent opposant à la dictature militaire. En visitant une église, je vois une grande photo de lui. Et je tilte : « Ah, mais en fait il est brésilien, Helder Camara ? » Et le gardien de l’église me répond : « Oui. Et en plus vous êtes en train de marcher sur sa tombe ! »
A l’aéroport, je fais mes yeux de biche brabançonne au check-in auprès de l’hôtesse.
— Je dis ça je dis rien mais s’il reste une sortie de secours et que vous avez besoin de quelqu’un qui parle cinq langues, je suis disponible pour occuper ce poste à responsabilités.
— Vous parlez vraiment portugais (me demande-t-elle d’un air méfiant alors qu’on papote depuis 5 minutes) ?
— Pas que. L’anglais aussi.
Et hop : deux vols en sortie de secours. Free of charge.
Rafael m’explique que « gauche caviar » se dit ici a ezquerda gourmet ou ezquerda Nutella🤗 ! Vocabulaire encore : Nelson m’apprend l’existence du mot AZUCAROCRACIA, les puissants barons du sucre qui faisaient la pluie et le beau temps dans le Nordeste aux 17e et 18e siècle.
Je ne cesse de m’étonner du succès des églises évangélistes en Amérique latine. L’une des raisons serait que les pasteurs sont extrêmement proches de leur communauté parce qu’ils sont originaires du même quartier que leurs ouailles. Là où le Vatican parachute plic ploc des gens venus d’ailleurs dans les paroisses laissées vacantes. Makes sense.
Rafael m’explique qu’ici, les gens ont une relation assez intense avec… le shopping (les gros malls qu’on trouve partout). Car c’est climatisé et on s’y sent en sécurité. Deux valeurs qui comptent beaucoup ici en Amérique latine. Je confirme.
Passablement ému (je suis une midinette, en fait), je découvre la place Largo do Pelourinho, où Michael Jackson a enregistré son clip They don’t care about us en 1996. C’est tout, je n’ai rien à dire de rigolo sur le sujet, désolé.
J’assiste à une messe syncrétique qui mélange religion catholique et culte candomblé. A un moment, le prêtre demande à l’assistance d’où chacun vient. Rio de Janeiro ! Fortaleza ! Et évidemment un crétin à lunettes qui gueule BELGICAAAA du fond de l’église. Soudain, le petit moustachu en short qui était à côté de moi se retourne et me dit « Spreekt U ook nederlands ? »
Le mot du jour dans la même église : genuflexorio (prie-dieu, car je ne crois pas que génuflexoire soit déjà admis).
Le prêtre fait des blagues et se fout de la gueule du public parce que celui-ci ne chante pas assez fort.
Karen m’écrit : « Je viens de rentrer du frescobol ! » DU QUOI ? Il s’agit d’un jeu de balle typiquement brésilien qui date des années 50. Une sorte de padel avec des raquettes en bois qui se pratique essentiellement sur les plages. Avec une particularité : celle de définir les deux joueurs non pas comme des adversaires, mais comme des partenaires.
Au musée du carnaval, j’apprends des trucs de dingue :
> Savez-vous ce qui est désormais interdit pendant le carnaval ici car certains en avaient un usage extrêmement agressif et déplacé ? Les pistolets à eau !
> Jusque dans les années 70 (ANNÉES SEPTANTE !!!) les principaux défilés étaient interdits aux Noirs. Je cède la parole à Rafael Cordeiro, un de mes contacts ici (il fait de la BD !), qui va nous expliquer un peu tout cela.
Disons que ces questions raciales n'ont JAMAIS vraiment été résolues ici à Salvador, “grâce” au mythe de la Démocratie Raciale, une idée créée par l'élite pour prétendre qu'il n'y a pas de racisme ici au Brésil. C’est un fait que la population « non-noire », donc l’élite qui a de l’argent, a toujours trouvé des moyens de s'isoler des pauvres et/ou des Noirs (ces deux termes allant souvent ensemble) pendant le Carnaval.
Voilà ce que moi (j’ai 48 ans) j’ai personnellement constaté depuis les années 70 : les blocos aisés (bloco = chaque confrérie du carnaval) ont commencé à screener AU PRÉALABLE toutes les personnes qui voulaient PAYER pour faire partie du bloco (chaque bloco a un costume spécifique). Ce registre contenait deux informations importantes : l'apparence (une photo) et l'adresse de la personne enregistrée.
Vous avez l'air noir ? Vous n’êtes pas le bienvenu ! Vous vivez dans un quartier pauvre ? Passez votre chemin !
Sur les photos du Carnaval, publiées après la fête dans les principaux centres commerciaux de Salvador, on voyait rarement un Noir. Ces photos “nettoyées” avaient pour but de vendre une image du Carnaval dans la partie "européenne" du Brésil (sud-est/sud), puisque c’est surtout dans cette partie du pays que se trouve le pouvoir d’achat et donc ceux capables de payer cher pour défiler dans tel ou tel bloco. Toutefois, avec internet, les téléphones portables et les réseaux sociaux, les photos racistes affichées dans les centres commerciaux n'existent plus.
C’est clair que le Carnaval de Salvador a toujours eu un côté discriminatoire, qui est sans doute aussi vieux que ne le sont les préjugés raciaux. Tout cela ne changera que si le monde du carnaval décide, lui aussi, de changer. Et donc, bref, comme les Noirs (et les pauvres) n’étaient pas les bienvenus dans les blocos non-noirs, ils ont créé leurs propres blocos dans les années 70. C’est ce qu’on a appelé le carnaval afro, symbolisé par le premier bloco noir, Ilê Aiyê.
Je reviendrai sur cette question raciale, très importante ici. Et notamment sur la non-utilisation des euphémismes politiquement corrects : ici, on appelle un chat un chat, et une couleur une couleur (c’est assez surprenant, vous verrez).
À la fin de la visite au musée, j’ai vraiment dû quasiment me fâcher pour que la guide accepte un pourboire. Autant c’est attendu en Europe, autant ici c’est presque déplacé…
J’adore qu’il y ait dans le dictionnaire le verbe sambar. Danser la samba 😂 (pour rappel, ici on dit LE samba)
Dans le bus se succèdent des camelots (comme sur les marchés) qui viennent nous proposer des produits indispensables comme des coupe-ongles, des crèmes pour avoir de beaux cheveux, des chaussettes rose fluo, de l’encens Duck (au véritable parfum de canard ?) ou un couteau … pour ananas. L’un sort, l’autre rentre et c’est reparti pour un argumentaire commercial en béton ! Le tout, bien entendu, sous un panneau interdisant le commerce ambulant à bord des bus, ça va de soi.
Le suivant arrive et distribue des friandises à tout le bus avant de commencer son laïus. Ah non, en fait il les récupère après : si tu les manges, ça coute 1 real (0,18 €).
La rezadeira (littéralement : la prieuse) peut être comparée à une guérisseuse/rebouteuse qui soigne en faisant des prières avec les plantes. Sur la photo ci-dessous, on voit qu’elle proposeguérir un éventail assez étendu de remèdes : mauvais œil, attaques cérébrales, santé des animaux, pemphigoïde bulleuse (accrochez-vous, c’est assez dégueu), eczéma, lumbago…
Sur la rezadeira, Yves, qui a vécu ici vingt ans, précise : « Beaucoup de gens préfèrent consulter une rezadeira pour soigner un animal ou même résoudre des problèmes conjugaux... Il y a aussi un aspect économique : beaucoup de ces rebouteux ne demandent rien en échange… On en trouve partout au Brésil, même dans le sud où il y a une forte influence européenne. Un de nos voisins s'est fait soigner son hépatite avec des tisanes préparées par une de ces rezadeiras. Apparemment ça a fonctionné, et il est toujours des nôtres ! »
Une des conséquences (un peu ridicules) de la courte occupation de Bahia par les Hollandais (pendant un période tout aussi ridicule : UN AN !) : le prénom VANDERLEY est assez commun ici. Van der Lei = de l’ardoise. Mais oui, c’est moche, on est d’accord.
Je dois adapter ma manière d’appréhender les déplacements dans une ville. A Sao Paulo, j’avais le métro pour me déplacer de quartier en quartier. A Recife et ici, c’est taxi obligé, les quartiers sont beaucoup trop éloignés les uns des autres. Le métro n’est pas fait pour circuler en ville, il est juste là pour amener les banlieusards au centre-ville pour travailler (c’est un RER en fait). Et les bus, bin je n’y comprends rien. Du coup, c’est un peu moins instinctif et libre, je peux moins me perdre dans la ville. C’est un peu plus planifié, disons
Je crois que je l’ai déjà dit mais le mot ponctualité n’existe pas dans le dictionnaire ici. Ou alors il s’epèle e, x, c, u, s, e, b, i, d, o, n.
J adore les franciscains qui inventent le kite surf… c’est énorme