DES NOUVELLES DE SANTIAGO DE CUBA florilegio
Ici, tout le monde me demande « ¿ Tienes un chiclet para mi ? » Mais comment ils savent que j’ai des chewing-gums dans mon sac ? Bin pasque je mâchouille comme une vache, pardi...😬
On mange très peu salé à Cuba. Nulle spécificité diététique là-dessous : c’est juste qu’il fait tellement humide ici que le sel reste bien à l’aise et compacté au fond de la salière, même avec le vieux truc des grains de riz, que tout le monde pratique ici. En vain.
Amusant : sur l’autopista entre Guantánamo et Santiago, les limitations de vitesse ne sont pas les mêmes selon les bandes. Gauche : 100 km/h. Milieu : 90 km/h. Droite : euh, à la discrétion de l’usager (divers véhicules dont charrettes, chevaux, vélos...)
— Donnez-moi svp l’adresse à laquelle on doit vous déposer à Santiago.
— Ok mais le voyage dure quatre heures donc on n’est peut-être pas à une minute près.
— J’en ai besoin maintenant. Imaginez que vous ayez un malaise avant d’arriver, comment je saurai où vous déposer, moi ?
— Ah oui évidemment, vu comme ça...
À Moa, je change de colectivo et on attend qu’il soit plein pour repartir. Soudain, quelqu’un a la riche idée de le remplir de bonbonnes de gaz. Ainsi que de douze (12 !) passagers, dont trois jeunes enfants. Et comme j’aime vivre dangereusement, je me réjouis d’une explosion imminente, vu que la route jusqu’à Baracoa (80 km) n’est qu’une succession de trous avec un peu de bitume autour, parfois.
Une blague cubaine, à présent.
Pedro a été un Cubain parfait toute sa vie. Aussi, à sa mort gagne-t-il logiquement son nuage personnel auprès de Dieu. Après quelques mois au Paradis, il s’ennuie ferme et demande à Dieu s’il peut lui arranger le coup pour aller passer ses vacances en Enfer. Pour voir comment c’est.
— Ok, dit Dieu. Laisse-moi le temps de faire les papiers.
Et voilà Pedro en enfer pour deux semaines : le rhum y coule à flot, les femmes y sont chaudes et la musique torride. Bref, il passe deux semaines d’enfer. De retour au Paradis, il annonce à Dieu qu’il souhaite désormais habiter en Enfer de manière définitive.
— Ok, dit Dieu. Laisse-moi le temps de faire les papiers.
Et revoilà Pedro en enfer. Sauf que cette fois, il tombe direct dans un chaudron bouillant et agonise de manière horrible (et permanente). Et lorsqu’il demande au taulier la raison de ce traitement inhumain et tellement différent de la première fois, le Diable lui répond.
— Pedro. Voyons. Tu es Cubain. S’il y a bien une personne qui peut comprendre la différence entre visa touristique et résidence permanente, c’est toi !
Les petits métiers cubains #9 : le colista, ou faiseur-de-queue-à-ta-place. Comme les queues sont omniprésentes et interminables, il y a des gars qui passent leur journée à poireauter n’importe où (banque, postes, telecom) et qui seront ravis de te céder leur place pour un montant minime. Ils passent donc leur journée à s’insérer dans des files d’attente où les touristes risquent de se pointer.
Cuba est un pays qui fait mal aux yeux : 100% des lampes ici sont des HORRIBLES NÉONS BLANCS : dans la chambre (y compris lampes de chevet), dans le salon, sous le porche des maisons, au resto, dans les magasins... tu es bien à l’aise, le soir dans ta chambre chez l’habitant, avec le ventilateur ou l’airco, une petite bière, un bon roman ET UN HORRIBLE NÉON BLANC !
Au glacier La Arboleda, je me retrouve à discuter avec des anciens de la guerre d’Angola (milieu des années 70). Et puis aussi avec Teresa, qui commande six boules.
— Quel appétit, Querida !
— Bin, en fait c’est pour ramener à la maison pour le petit.
— Mais il fait trente degrés et tu vis à 15 km d’ici.
— Et alors, où est le problème, estupido ? Je remets au congélo et demain le gamin il a de la glace !
Ça sent le retour. Ma peur du vide reprend le dessus et je crains de tomber à court de livres. J’ai déjà bien évidemment écumé les librairies du pays entier à la recherche de n’importe quoi à lire en français ou anglais (je pratique l’espagnol, mais il m’est trop difficile de lire un livre dans cette langue). En outre, la littérature locale ne me passionne pas (et je reste poli). Là, je viens misérablement d’aller proposer à de riches touristes européens de leur RACHETER leurs vieux livres.
Un journal avec des articles sur des pièces de théâtre : non merci
Une douze millième bio du Che : non merci, la barbe des barbudos
Des poèmes d’un célèbre auteur sud-américain : euh non merci aussi
Des nouvelles de Robert-Louis Stevenson : ouiiiii (même si en fait non) merci Pascale et Caroline !
Un vieux Ken Follett lu mille fois : ouiiiiiiii aussiiiiiii
Je corresponds avec l’éminent pataphoniste Max Vandervorst qui essaie, à distance, de m’apprendre les mille subtilités de la clave cubaine, ce rythme si caractéristique de l’île. « Un groupe de trois coups dans la première mesure, dont 2 sont très syncopés et contribuent à créer une tension. Ensuite, un groupe de deux coups dans la dernière mesure qui se résolvent sur le temps et créent une détente. Dans le cas de clave rumba, le troisième coup (de la première mesure donc) est encore un peu retardé, ce qui accentue l’effet de tension. » Je ne comprends rien mais je n’ose pas le lui dire.
Après examen, je trouve que Tukola Dietética, le cola local, tient largement la comparaison avec le Pepsimax. Si ça tombe, c’est fait dans la même usine (ce qui serait assez cocasse).
Super plan ce matin : Alex (qui s’appelle officiellement Alexei en fait, lourd héritage coco) m’a dégoté un combat de coqs, quelque part en banlieue. C’est la version légale, c’est-à-dire celle où on ne parie pas. Pas de bol, en arrivant, on se rend compte qu’aujourd’hui c’est l’anniversaire de la mort de Fidel Castro. Donc c’est raté ! C’est pas grave : ça aura quand même permis à mon taxi pirate de tomber deux fois en panne et de se faire contrôler deux fois par la maréchaussée locale. Et un peu de monnaie locale changera discrètement de main pour éviter une amende (puisqu’il n’est pas autorisé à transporter des touristes). En toute sécurité, cela va de soi : à un moment, le moteur a carrément explosé et il est allé récupérer sur la chaussée la bougie qui avait sauté.
Au cinéma, un documentaire interminable (niveau première année d’école de cinéma et encore, c’est pas sympa pour les écoles de cinéma) sur les funérailles de Fidel. Les gens pleurent dans la salle.
Alex — encore lui — m’explique que les Cubains vivent « en famille » et qu’ici on habite tous ensemble, pas comme en Europe où chaque nouvelle génération a sa propre habitation. Et comme les maisons ne sont pas assez grandes, il faut attendre la mort d’un aîné pour pouvoir disposer d’un peu plus de place. Et ne pas faire trop d’enfants, naturellement !
Les petits métiers cubains #7 : le pregonero, « réparateur de tout ». Il arpente les rues en gueulant tous les trucs qu’il peut réparer. Et ça marche. Si ton mari a deux mains gauches (ou s’il est parti), fais appel au pregonero !
Les cinq riquettes incontournables, jouées par tous les groupes dans tous les restos de toute l’île sont, dans l’ordre :
1/ Comandante (number ouane incontesté, que je ne peux plus entendre, perso)
2/ Chan Chan, le premier morceau de l’album de Buena Vista
3/ Guantanemera
4/ My way/Comme d’habitude
5/ Quisaz quisaz quisaz (mais le titre exact c’est Desesperando ?)
Cela étant, vieilles scies mises à part, le moindre groupe a d’office des harmonies à trois ou quatre voix, ce qui les rend irrésistibles. Et comme ils ont tous un disque à vendre après le concert, je démarre ma propre cubanothèque.
J’en suis parfois à deux concerts par jour. Complètement accro aux harmonies vocales d’une beauté bouleversante, genre 4 ou 5 voix différentes, dont Dieu himself a sans doute écrit les arrangements. Cela étant, je n’y connais rien au répertoire cubain, je ne sais pas si tous ces groupes de café sont des génies de la composition ou s’ils puisent tous dans le même songbook.
Dans quasi toutes les casa, il y a un frigo. Sauf que les frigos cubains font ce fameux bruit de frigo BRRRRRRRRRZZZZZZZGGGGGMMMMMMMRRRRRRRRRRR qui fait qu’en pleine nuit on le débranche et que donc le matin c’est devenu une armoire à bière chaude. Avec, en prime, une petite inondation due au dégivrage express.
« Chaque fois que je reviens de Cuba, c’est avec autant de questions que j’en avais au départ. Sauf que ce ne sont plus les mêmes questions ! »
Eric Boschman, philozozophe belge