DES NOUVELLES DE TOKYO #2
Ici, il y a beaucoup de vélos... mais pas de pistes cyclables. Les vélos roulent donc sur les trottoirs. Ou alors peut-être que c’est moi qui marche sur les pistes cyclables ?
On se balade en rue et Bernard, intrépide reporter belge installé ici, ramasse un smartphone par terre et le ramène au Koban, le bureau de police local. Et c’est parti pour 30 minutes de paperasse à remplir. Je me dis que Bernard doit amèrement regretter son geste chevaleresque. Que nenni : la loi prévoit que lorsque le propriétaire d’un objet perdu vient récupérer son bien, il doit offrir à « son sauveur » 20% de la valeur de l’objet retrouvé. Allez, Bernard, on va au café avec ce que tu viens de gagner !
Entendu à la radio. Dans les applis de rencontre japonaises, quelques critères sélectifs quand même assez inattendus :
> le groupe sanguin (un peu comme l’horoscope chez nous) ;
> être “herbivore” (pas trop porté sur le sexe, plutôt en questionnement sur la société de consommation) ou “carnivore” (dévorer la vie à pleine dents et forniquer autant que possible) ;
> avoir un visage de sel (yeux en amande), de sauce (plus rond) ou de sauce soja (traits distinctifs : long nez, grands yeux…)
Assez étonnant : contrairement à ce que je pouvais croire, ce sont surtout les vieux — qui ont connu la guerre ou l’après-guerre — qui sont à gauche et contre le réarmement du Japon, alors que les jeunes, qu’on pourrait croire plus pacifistes et cool, eh bien sont pour un Japon armé, fort et autoritaire. Il y a certainement des nuances, mais vous savez bien que les nuances et moi, ça fait trois. Et justement, Thibaud, lui, il nuance : “Mmmmmouais. Il y a peut-être quelques jeunes qui pensent comme ça, mais il y a surtout un désintérêt croissant pour la politique. Les dernières élections législatives de 2021 ont connu le troisième taux de participation le plus faible (55% seulement) depuis la guerre. En outre, tu parles de la gauche, mais la gauche japonaise est quand même très à droite…”
J’ai la toponymie qui s’entrechoque : je confonds allègrement akihabara, akabanebashi, ikebukuro, ogikubo, nikubashimae, mitsukoshimae, uchidaiwaicho… De manière générale, je mélange un peu tous les noms de famille, ce qui m’a fait déjà arrêter la lecture de deux romans car je confondais tous les personnages. C’est déjà arrivé aux gens qui lisent Dostoïevski ou Tolstoi. Pour les mêmes raisons.
On visite les salles de l’assemblée des élus locaux. Dans le groupe, il y a un touriste chinois, à qui la guide demande si, dans son pays, c’est le même système, le même débat démocratique… Gros silence gêné et intense regardage général de bout de chaussures.
Je suis allé à la pharmacie acheter un bête médicament contre le rhume. J’ai dû prouver que j’avais plus 18 ans (ok, je reconnais que le doute est permis). Mais aussi affirmer que je n’avais pas acheté un médicament similaire dans une autre pharmacie la même semaine. Shiyori m’explique que c'est dû à un phénomène récent de jeunes gens qui en prennent de grandes quantités pour leurs effets planants. “Une sorte d'effet d'opioïde à petite échelle. C'est la première année qu'on voit ça ici…”
Deux trucs qui me frappent en me baladant : le nombre de commerces et d’établissements dont je n’ai pas la moindre idée de ce qu’ils proposent à leurs clients comme marchandise ou service. Assurances, bavettes pour bébés ou semi-conducteurs ? Et aussi le fait que, chez nous, les commerces sont au rez-de-chaussée, alors que les étages sont réservés aux habitations ou aux bureaux. Ici, il y a des magasins ou établissements à tous les étages, et il faut donc prendre l’ascenseur pour aller acheter ses croquettes pour chien au 4e, au restaurant au 7e ou à la banque au 9e étage.
Il n’y a pas de gros ici. Il faut dire que la philosophie qui règne ici c’est Hara Hachi Bu, qui consiste à remplir ton ventre à 80% seulement. ET PAS À 130% COMME AILLEURS (je ne vise aucun continent en particulier, hein !).
Pour un pays censé être au top de la technologie, sachez que le fax et le floppy disk sont encore en usage ici. Et que le design des sites internet est tout pourri, on dirait qu’ils ont été designés par le créateur du jeu vidéo PONG il y a 50 ans. Explications avancées pour ce rétro-futurisme : un certain conservatisme dans l’administration. En 2018, le ministre chargé de la cybersécurité a dû admettre qu’il n’avait jamais utilisé d’ordinateur de sa vie. Pas rire. Surtout pas rire. Cela dit, dans les années 2010, les Américains utilisaient encore des diskettes pour gérer leurs armes nucléaires. Donc, camembert hein.
On m’a donné un petit conseil pour acheter malin. Tout ce qui se consomme pendant la journée est bon marché. À l’inverse, tout ce qui se consomme le soir est plus cher !
Un des gros soucis de la société japonaise : le nombre de tordus qui prennent des photos sous la jupe des jeunes femmes. Il est d’ailleurs impossible, sur les téléphones japonais, d’enlever le CLIC sonore qui indique qu’une photo a été prise. Egalement, partout dans le métro, des autocollants qui signalent qu’il est « interdit de prendre des photos non désirées ».
Le cimetière Aoyama est le plus grand de la ville. On y dénombre très exactement 100 000 tombes, j’ai compté pour vous. Par rapport à nos cimetières, il est extrêmement dépouillé et sobre. Juste des stèles géométriques avec des inscriptions. Pas de concours de kiki comme en Europe, ou c’est celui qui fera la statue la plus prestigieuse et la plus spectaculaire qui sera le plus vénéré dans l’au-delà. À la limite, de temps en temps un petit bouddha rikiki de 20 cm de haut et c’est bon.
Quand j’arrive dans les petits boubouis pour manger, je perçois pendant une nanoseconde le désarroi (ou la lassitude) du staff : « Allez, encore un gaijin qui ne comprend rien, ça va encore ramer sec ! ». Et puis, bonne éducation oblige, ils me font un grand sourire et me proposent la carte… et le cendrier. Car, pour rappel, on fume ici dans les restaurants !
Ici, on ne rigole pas avec le code de la route : bicyclette mal garée = fourrière et amende.
Dans ma coloc, je crois être plus âgé que tous les autres colocs mis ensemble. Dans un effort louable de conversation transgénérationnelle, Thibaut m’interpelle alors que je rentre à la maison avec mon casque sur les oreilles : « Alors, tu as mis ton walkMan ? »
Voici le retour de mon grand jeu Starbucks. Pour rappel, il s’agit, lorsqu’on me demande mon prénom pour l’inscrire sur le gobelet, de refuser de l’épeler pour découvrir ensuite le nouveau prénom que m’a attribué le serveur. J’ai, ainsi, déjà été appelé Cerri, Sherif, Ciefi, Jerry, Shere, Estery, Trery, Teorrie… Ici, disons que j’ai été pris à mon propre piège puisque ce gobelet m’était illisible.
Ici, la dynamique noël / nouvel an est inversée. Noël, c’est party time, on va au KFC entre amis (c’est troooooop la fête, non ?). Alors que la nouvelle année se passe davantage en famille ou au temple, dans un moment de recueillement.
J’apprends la distinction entre les pays « high context » (forte charge contextuelle) et les autres qui sont « low context » (le contraire, donc). En gros, chez nous, il faut tout expliquer bien clairement. Alors qu’ici au Japon (high context), les choses demandent généralement moins d’explication, car le contexte est suffisamment clair. Un exemple : à Kyoto, VOULEZ-VOUS ENCORE UNE TASSE DE THÉ signifie en fait JE CROIS QU’IL EST TEMPS QUE VOUS VOUS CASSIEZ, NON, VOUS NE TROUVEZ PAS ?
J’ai donc pris le Shinkansen, ce fameux train qui a été mis en service pour les JO de 1964, soit 15 ans avant le TGV. Quelle volupté, quelle efficacité, quel confort. Ici, on retourne les sièges pour qu’ils soient toujours dans le sens de la marche. Dans la série des annonces faites aux passagers : on leur demande d’avoir la délicatesse de ne ne pas taper trop fort sur leur clavier d’ordinateur pour ne pas gêner les autres passagers. Rien sur le fait de faire rugir du rap français . Rien sur les vieux qui hurlent dans leur téléphone qu’ils n’entendent rien CAR ILS SONT DANS LE TRAIN. OUI, CHÉRIE, JE SUIS DANS LE TRAIN. OUI, C’EST ÇA. LE TRAIN. Dingue, non ?
A suivre très bientôt, les amis. Arigato gosai masu de m’avoir lu jusqu’ici, vous en avez bien du courage je trouve.
Merci beaucoup, c’est tellement rafraîchissant ! Bises
Super, je me délecte comme chaque fois ! 😋