DES NOUVELLES DE TOKYO #5
Dans le hall d’un grand hôtel, un vieux monsieur, lunettes noires, gardes du corps, une tête de Yakuza. Nathalie me chuchote : « surtout, ne regarde pas son petit doigt ! »
Je suis allé au sento, le bain public du quartier. J’avais le choix entre un bain trop chaud, un bassin avec des décharges électriques (vrai de vrai) ou bien de l’eau glacée… Monsieur a choisi entre la peste, le choléra ou la malaria ?
Autant les jeunes filles sont habillées funky et fashion, autant les garçons sont plutôt ternes. Heureusement, de temps en temps, on aperçoit un zazou en jupe avec des lunettes de designer flamand.

Les Japonais ne disposant pas d’une carte d’identité, c’est généralement le permis de conduire ou la carte de santé qui fait fonction. Depuis une dizaine d’années, le gouvernement tente d’imposer un numéro national : mai namba (« my number », en fait). Mais ça bugge encore : outre le fait que nombre de citoyens sont réticents à avoir toutes leurs infos privées rassemblées dans une seule carte électronique, les infrastructures sont très loin d'être opérationnelles : des dizaines de milliers de cliniques ne sont toujours pas équipées du terminal nécessaire pour lire la carte. Ajoutez à cela un énorme bug informatique révélé récemment : problème de gestion des homonymes, et donc attribution de données individuelles erronées. “Comment ça, vous n’êtes pas le bon Monsieur Tanaka ?” (Ils sont 1 336 000 à porter ce nom ici).
Brice au Starbucks à Shinjuku : « Pour me faire un americano, ils font un espresso et ils remplissent la tasse avec de l’eau du robinet. Ça fait comme quand ma Nespresso fuite. »
Dans le métro, le monsieur à côté de moi, la cinquantaine bien faite, a un smartphone dans chaque main et joue EN MÊME TEMPS à un jeu (apparemment le même) sur chaque téléphone. Je n’ai pas osé faire une photo.
Autant à la maison j’utilise la tondeuse vite fait, autant en voyage j’adore aller me faire couper les cheveux. Ici, ça commence par un shampoing d’au moins dix minutes, mes cheveux n’ont jamais été aussi propres. Avec, tenez-vous bien, une serviette sur la figure pour ne pas risquer d’envoyer des gouttelettes sur ce splendide visage dont j’ai hérité. Le gars me montre ensuite des photos de jeunes Japonais, tous lookés Peaky Blinders (rien sur le côté, tout sur le dessus). Allez, ok, disons la 4. Il chausse alors de grosses lunettes, comme s’il était bijoutier ou médecin légiste. Il faut dire qu’il me reste tellement peu de cheveux que je comprends qu’il lui faille une loupe. On terminera ce moment de grâce par un massage de 15 minutes à la limite des claques.
A l’entrée d’un musée d’art contemporain : « Monsieur, êtes-vous en train de mâcher un chewing-gum ? » C’est tout juste si je n’ai pas eu droit à la main tendue, époque 2e primaire chez Monsieur Vernaeve.

Au restaurant, Philippe demande s’il peut recharger son téléphone. Pas de réaction. « Can I charge my phone ? » Toujours rien. « Can I charge my iPhone ? » Et là tout de suite on lui amène un chargeur. #SteveJobsPowa
Le protocole dans l’ascenseur au Japon. Celui ou celle qui se retrouve à proximité des boutons devient de facto le groom de l’ascenseur et veillera à ce que tout le monde sorte sans encombre (en poussant sur le bouton idoine) et en sortant en dernier.
Manu m’emmène faire la tournée des disquaires. Aaaah, les fameux pressages japonais. Sans exception, ils sont tous ornés d’un obi, ce bandeau de papier qui évoque en fait une ceinture de kimono. Il est indispensable que le obi soit intact, sans quoi le disque n’a aucune valeur pour les collectionneurs.

Ah oui, encore un truc : ici, les disquaires classent par le prénom, ce qui explique que David Bowie sera proche de David & Jonathan, même si leur musique n’a rien à voir. Mais peut-on vraiment parler de musique concernant David & Jonathan ?
Ici, le business des gouttes ophtalmiques atteint des proportions qui piquent les yeux. Certaines marques ont près de 100 références différentes : les rafraîchissantes (au menthol !), celles qui humidifient très fort, celles pour les chatouillements oculaires intermédiaires, les gouttes destinées spécifiquement aux porteurs de lentilles de contact, celles pour les personnes âgées ou pour relaxer le muscle ciliaire… En pharmacie, ça donne un bon gros rayon entier consacré à ces petits flacons. Mais c’est pas tout : les gouttes pour les yeux existent aussi… en pastilles à avaler !
Un truc assez marrant, que me confie Bernard alias Bruno, journaliste-à-tout-faire ici à Tokyo. Dans ce pays où raser les murs est une science et rester humble et discret une religion, la DJ POLICE constitue une incongruité sonore et bruyante totalement autorisée. Officiellement dénommé« Security Site Public Relations », il s’agit pratiquement pour le policier en faction d’utiliser un gueulophone pour communiquer ses instructions aux piétons (ne pas traverser, ne pas marcher en checkant Instagram, faire attention…) tout en le faisant de manière relax et amusante. Les autorités décernent même un trophée annuel à l’agent de police qui a « su faire preuve d’une habileté narrative, qui a bien analysé la situation et l'atmosphère du site et a contribué à ne pas causer de blessures ou d'arrestations ». La DJ Police est extrêmement populaire dans tout le pays. Regardez, on dirait Patrick Sébastien au Palais des Sports…
Bon, je reconnais que les blagues sont moins désopilantes quand on n’a pas la trad !
Autrefois, les Japonais avaient déjà un an à leur naissance, on considérait que les mois de gestation comptaient pour une année. Le lecteur attentif aura noté qu’ici, la fabrication des bébés dure trois mois de plus qu’en Europe🤭. Ce système a été abandonné mais est encore utilisé en Corée du Sud. Donc, ne croyez jamais un Coréen lorsqu’il vous donne son âge, il exagérera toujours un peu !
Roland Barthes compare les baguettes japonaises à nos couverts occidentaux, « des instruments de torture médiévaux qui coupent, fendent, blessent. Alors que les baguettes, dont la matière même (bois, bambou, laque) invoque une douceur maternelle, refusent de couper, agripper, mutiler ou percer, mais au contraire prélèvent, retournent, transportent sans les violenter les aliments et, quand il est nécessaire de les scinder, les séparent, écartent, les défont au lieu de les trancher. »
Cité par Richard Collasse, Dictionnaire amoureux du Japon, Plon.
Delphine sort de son cours de japonais : « Cette langue me tue. Il y a des façons différentes pour compter les gens, les choses, les animaux, les machines, les objets plats, les objets longs, AU SECOURS ! Et va savoir pourquoi une table est considérée comme une machine… » J’ai vérifié : il y a environ 500 manières différentes de compter au Japon, même si le Japonais moyen en maîtrise généralement une centaine. Un seul exemple pour rire : les petits animaux se compte d’une certaine manière (ippiki) mais les lapins, eux, se comptent comme des oiseaux (ichiwa). Levez le doigt, ceux qui veulent toujours apprendre le japonais…
Un samedi je passe devant cette inscription qui fleure bon la Bavière, ça m’amuse et je la photographie.
Quelques heures plus tard, Marc m’envoie ceci : « Rien à voir, mais j’ai rêvé de toi cette nuit. On était dans un autocar, au Japon. Tu nous guidais, annonçant le nom de chaque patelin. Sauf que, sur les panneaux, tous les noms étaient inscrits dans notre alphabet, et avaient plutôt des consonances allemandes. Je te le faisais remarquer et tu me répondais que tiens oui, c’est étonnant. Pourtant, concluais-je, nous sommes bien au Japon puisqu’on roule à gauche. C’est grave, Docteur ? » Je ne sais pas si c’est grave mais si tu pouvais déjà arrêter de lire mes pensées, Marc, ça m’arrangerait.
Je vous ai déjà régalé dans mes livraisons précédentes avec du franponais. Tiens, voici ma moisson de ces derniers jours.
En discutant avec un ami, on s’est rendu compte que cette appropriation fonctionnait dans les deux sens. La marque britannique de fringues Superdry truffe ses créations de mots japonais, comme si tout cela avait été créé ici ( ce que l’inscription sous-entend clairement). J’ai fait l’essai avec mon écharpe. Thibaud, mon sherpa, m’annonce que non seulement ça ne veut rien dire, mais ce n’est pas du japonais… mais du chinois.

Et visiblement, Superdry en fait des tonnes dans le japonais de cuisine qui ne veut rien dire.
Enfin une photo où tu as l’air réjouis ( chez le coiffeur) 🤣