DES NOUVELLES DE VENISE
J’explique à Martine que j’ai une semaine un peu stressante. Sa réponse : "tâche de ne pas mourir à Venise !"
Ici, pas une seule voiture. Ni rien d’autre. On voit donc passer sur les canaux des bateaux-poubelles, des bateaux-ambulance, des bateaux-pompes funèbres, des bateaux-police, des jet-ski de la police…

Le plus perturbant, c’est qu’il n’y a pas de vélos non plus. On peut rouler à bicyclette dans la vieille ville jusqu’à l’âge de dix ans. Et encore, pas partout. Et encore, pas tout le temps : seulement de 9 à 13h et de 15 à 20h. Après : amende. Prends ça, sale délinquant !
Parlons toponymie. Grosso modo il n’y a que six noms de rues à Venise, correspondant aux six sestieri (sixième de ville, tout comme le quartiere — le quartier — est donc… la ville coupée en quatre, vous le saviez pas ça hein). La numérotation, qui date des Autrichiens, était sans doute logique à l’époque, mais actuellement totalement confusionnante. Pour épicer le bazar, certains noms apparaissent plusieurs fois dans la voirie : il y a 11 calle della Madonna et 20 calle del forno. Résultat ? Facteur c’est vraiment un métier pourri ici.
Pour trouver mon adresse (Castello 1852), Google Maps ne vous sera d’aucun secours (faites l’essai, vous verrez). Il y a donc ici des apps typiques :
Dequa pour s’y retrouver dans les rues
CheBateo pour savoir quel bateau prendre
Hitide pour vérifier la hauteur des marées

Dans une église, un homme prie. À genoux. Pas sur le prie-dieu prévu à cet effet mais à même le sol. Tout en lui respire la contrition. Je suis certain qu’il porte un silice, cette ceinture de mortification en métal que les lecteurs du Da Vinci Code connaissent bien.
Je passe donc trois semaines à Venise. C. me demande : pourquoi si longtemps ?

A propos de morts, ouvrons ici un chapitre funéraire. La fois dernière, en parlant du cimetière monumental de Milan, j’annonçais ceci : “Sachez donc, amis qui me lisez de manière posthume, que je veux être enterré ici, avec une statue de 7 m de haut de moi, me représentant en érection.” Georges, taquin, me répond : “ j’ai hâte de voir ça! Je me suis renseigné pour ce genre de statue, il faut près d’une heure de pose. Un détail. Bonne route.”

Pour clôturer le sujet, je partage avec vous cette délicieuse expression italienne pour dire « de manière extrêmement rare » : Ogni morte di papa. Chaque fois qu’un pape meurt…
Et les canaux, alors ? Eh bien j’ai eu la chance de visiter un atelier de rafistolage de gondoles. Il y en a environ 500 en circulation à Venise et une gondole neuve va taper dans les 30/35 000 euros. J’avise un nom féminin (Shakira) gravé sur une plaque en métal. Je suppose que c’est le nom de la copine du gondolier ? Non, me répond le technicien. Plutôt de sa fille. Car « petite amie de gondolier » c’est pas le statut le plus permanent du monde, disons…
Depuis quelques semaines, un dauphin a élu domicile dans le grand canal. Ça amuse tout le monde, ça fait de la matière pour les médias et ça effraie pas mal aussi, vu la concentration de bateaux à moteur sur ledit canal…

Une règle insolite dans le Vaporetto : on ne peut pas lever son téléphone au-dessus de la tête pour faire les photos. Histoire de ne pas gêner la vue des autres voyageurs.
Les vieux vénitiens se souviennent encore d’un fameux conducteur de Vaporetto dont le surnom était Settembre nero, en référence au mouvement terroriste Septembre Noir. Il conduisait n’importe comment, il heurtait les quais, arrachait les bouées, repartait en laissant les portes ouvertes… Une vraie terreur.
Kodak owes a lot to Venice - Kodak doit beaucoup à Venise.
La citation, sans doute dépassée aujourd’hui, est de Josef Brodzky, poète, prix Nobel de littérature, enterré à Venise. Et c’est clair que chaque pas prête à une photo fantastique. En effet… je monte sur un pont : hop, une photo avec l’enfilade du canal, en veillant à ce qu’une gondole apparaisse au bon endroit. Parfait. Pont suivant : exactement la même photo. Après 25 ponts, je ne sortais plus l’appareil… Il y a 450 ponts à Venise. Vous viendrez à ma soirée photos ?
Il y a des toiles du Tintoret partout, dans chaque église, chaque musée, ça déborde de tintoretteries super grandes avec chaque fois des centaines de personnages et des années de boulot par tableau. A tel point que c’est tout bonnement impossible qu’il ait peint tout cela lui-même : Tintoretto était une espèce de showrunner qui devait faire travailler des dizaines d’apprentis.
Tintoretto encore (je vous avais prévenus) : Matteo me montre L’Enlèvement du corps de Saint Marc à l’Accademia et me raconte l’histoire qui va avec : de nombreux exégètes, spécialistes de tout poil — et même Sartre — ont échafaudé des théories sans fin pour expliquer pourquoi le ciel est rouge et les nuages noirs dans ce tableau.

A peine entré dans le Palazzo Grassi (le gros chou à la crème dans lequel François Pinault expose sa petite collec d’art contemporain), je m’enfuis tellement c’est n’importe quoi. Une gardienne me court après dans la rue pour me signaler que je n’ai pas encore tout vu, qu’il reste un étage.

Comme beaucoup de marques, Dolce & Gabbana a investi un splendide palazzo. Je m’y aventure pour mater le lieu. Un gardien patibulaire m’avertit : only one picture !
Après 40 ans dans la bande dessinée, j’ai enfin appris pourquoi on appelle ça ici des FUMETTI. Car une bulle de BD ça ressemble… à une petite fumée !
Donna Leon est une célèbre autrice américaine qui vit en partie ici et dont les polars se passent tous à Venise. Ses livres sont traduits dans le monde entier… sauf en italien. Deux raisons à cela : 1) elle tient à sa tranquillité et à son anonymat 2) elle a peur que la nation entière se sente vexée car, elle le dit elle-même, elle utilise parfois « des clichés sur les Italiens ».
Après 3 semaines à Venise, je crois que j’ai un tout petit peu préféré Milan. Je sais pas si ma comparaison est pertinente mais Venise et Milan c’est un peu comme Bruges et Anvers. L’une est une ville-musée avec plein de touristes, l’autre est une ville vivante… Cela étant, j’ai beaucoup apprécié ce séjour, que j’ai trouvé teinté d’une certaine langueur liée au fait qu’on ne se déplace qu’à pied ou en bateau.
Puisque c’est ici que se clôture ce voyage en Italie du Nord, un dernier mot sur ma maîtrise de l’italien. Ma tête est pleine d’espagnol et après deux mois, je suis encore incapable d’énoncer quoi que ce soit de manière claire et construite en italien. Véronique me rappelle qu’à l’ISTI (l’école de traducteurs dont nous sortons), il était interdit de prendre la combinaison italien/espagnol. J’ai enfin compris pourquoi…






Merci Thierry, tres interessant d'avoir ce point de vue sur venise
😎